Indigogènes – Revue la Garance Voyageuse

Nous publions ici un article paru dans le numéro de décembre 2022 de la Revue du monde végétale , La Garance Voyageuse, avec leur autorisation

 

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Indigogènes, une exploration de l’histoire coloniale et résistante des plantes indigofères et de leur transformation

 

Au sortir de la pandémie qui a questionné notre rapport au vivant, contemporaine de mouvements internationaux contre des violences policières racistes, le projet Indigogènes porté par l’association Alter Natives propose une enquête sur l’usage colonial des plantes indigofères et les pratiques toujours à l’œuvre de cueillette et de transformation traditionnelles au Sénégal.  Au cœur du projet, des jeunes franciliens et des jeunes sénégalais construisent ensemble la problématique à partir de sources présentes dans les archives de villes portuaires, de collections de musées et museums, de ressources en ligne, d’échanges avec des botanistes, des historiens et des personnes ressources africaines. Parmi les nombreuses indigofera mentionnées dans ces sources il demeure aujourd’hui délicat de définir qu’elles étaient les espèces déplacées aux Antilles et aux Mascareignes à l’époque de la traite transatlantique, et quelles étaient ou sont celles utilisées par les habitants du Sénégal.   Le botaniste Michel Adanson passe 5 ans au Sénégal de 1754 à 1757. Il y décrit l’indigoferra arrecta et la liane Philenoptera cyanescen et trouve les moyens de faire une bonne fécule d’indigo. Il préconise à la compagnie des Indes de faire du Sénégal une colonie où des hommes libres cultiveraient les produits des iles.

Lorsque les Français perdent Saint-Domingue, la teinture bleue devient une denrée rare et stratégique puisqu’elle sert à l’habillement des troupes napoléoniennes. A la suite, des essais de plantation sont encouragés au Sénégal à l’époque du gouverneur Schmaltz (1816-1820) qui obtient des concessions du roi du Walo. Sous le baron Roger des plantations sont mentionnées à Lampsar, Richard Toll et des indigoteries fleurissent à Saint-Louis entre 1823 et 1825. Faidherbe (1854-1865) relance des plantations d’indigos le long du fleuve Sénégal. Notifiées par les chroniqueurs de l’époque comme des échecs, ces tentatives ont très bien pu amener durablement des espèces indigofera utilisées dans les colonies d’Amérique ou d’Asie .

Le groupe s’intéresse aussi à la manière dont ces plantes ont été cultivées et transformées dans les différents contextes. Ainsi ce sont des personnes déplacées d’Afrique et exclavisées qui travaillent les plantations intensives et leur transformation pré industrielle dans les caraïbes et des Mascareignes, participant  une époque qualifiable de plantationocène, alors que les tentatives sénégalaises du début du 19e défient les enjeux de l’abolition de la traite négrière. Grâce à l’appui d’un artiste chercheur sénégalais Abdoulaye Seck, les pratiques traditionnelles de cueillettes, de transformation et de teintures sont découvertes par ces jeunes enquêteurs. Elles permettent une autre lecture des collections d’objets teints en indigo pris lors des conquêtes coloniales aux résistants africains et présents dans les musées français.

 

Emmanuelle Cadet, Association Alter Natives